Y a-t-il des raisons d'être solidaire d'Hatem Ben Arfa?

Publié le par Rino

S'entend si on n'est pas un de ses proches ou un supporter de l'OGC Nice...

Hatem Ben Arfa est un travailleur. Certes grassement payé, mais comme dirait Nathalie Arthaud "il n'exploite personne"...

Le contrat de travail du footballeur: histoire d'un rapport de force

Autrefois, à l'avènement du professionnalisme (ou même de l'amateurisme marron) les clubs de football et les contrats révèlaient un rapport de force ultra-défavorable aux joueurs. Cette période de gestion autoritaire du football est caractérisée jusqu'à la fin des années 60 par ce qu'on appelait le "contrat à vie". Dans un contexte de puissance relative du mouvement ouvrier, on parle volontiers "d'esclavage salarié". Pendant de longues années, les revendications syndicales des joueurs s'attaqueront à en finir à ce type de contrat qui ne leur donnait absolument pas le droit de choisir de rejoindre un autre club. Les dirigeants avaient une mainmise sur la carrière des joueurs et imposaient des bas salaires. On parle de "contrat à vie" car le joueur qui le signe s'engage à jouer pour son club jusqu'à ses 34 ans, c'est à dire jusqu'à la fin de sa carrière. Dans le courant des années 60 beaucoup de joueurs s'élevaient contre ce type de contrat, y compris de grands noms comme Raymond Kopa. Il aura fallu attendre Mai 68 en France et l'occupation du siège de la FFF pour assister à la réelle avancée sociale qu'est le "contrat à temps" (sorte de CDD), mis en place à titre probatoire en 1969 (en Angleterre, il n'arrivera qu'en 1978)1. Mais, y compris dans le football, le contrat de travail, s'il offre quelques droits, matérialise surtout un rapport de subordination. Et en 1972, à la fin de la période probatoire, plusieurs présidents de club tentent de revenir au "contrat à vie", beaucoup plus conforme à leurs intérêts. Ce qui déboucha sur une grève des joueurs sous l'égide de l'UNFP, leur syndicat2. Les dirigeants se plieront finalement à la logique paritaire prônée par le Rapport Séguin et la convention collective qui en découle, la Charte du football professionnel, adoptée en 1973.

Puis dans la foulée de l'Arrêt Bosman, en 1995, le footballeur est devenu une marchandise en libre circulation dans l'espace européen. La marchandisation du football s'est étendue, les propriétaires des clubs ont retourné en leur faveur ce recours au CDD, devenu un contrat à la carte, donnant droit à des émoluments âprement négociés. Les salaires ont explosé. Une carrière se fait aujourd'hui rarement au même endroit. Les patrons de club ont mis à profit cette libéralisation du contrat de travail du footballeur avec notamment un marché des transferts fructueux, qui a vu émerger des acteurs comme les agents de joueurs, les recruteurs et les divers intermédiaires. Ce qui a aussi au comme effet d'ériger le système des commissions, parfois colossales, en nouvelle règle du jeu. 

Le footballeur s'est mis à l'heure de la fléxibilité, d'aucuns parleront de mercenariat, car nous n'oublions pas que nous parlons d'une frange de salariés qui reste très privilégiée. Et pour rien au monde les dirigeants de club ne reviendraient aujourd'hui à l'archaïque "contrat à vie".

Ben Arfa "jetable" malgré lui

Passé pro il y a onze ans, Hatem Ben Arfa est un des produits de la logique économique de la formation conçue essentiellement comme un investissement en vue de la réalisation d'une plus-value à la revente du contrat.

Ben Arfa est un joueur de tempérament, classé comme un "ingérable" au point d'être pratiquement blacklisté en France. Il a aussi été pris en grippe par la Fédération Française de Football (FFF) et rappelé à l'ordre par sa commission de discipline (ainsi que Yann M'Vila, Jérémy Ménez et Samir Nasri) pour des histoires de "comportement" pendant l'Euro 2012. Présenter ces joueurs de qui l'industrie du sport profite largement comme des enfants gatés sous prétexte qu'ils ne suivent pas la soumission disciplinaire que leur statut de salariés très bien payés requiert sert à masquer les racines du problème, qui sont dans la marchandisation totale des joueurs. Pour éviter d'en arriver à la conclusion que le problème est structurel, certains ont déjà trouvé les boucs-émissaires idéals.

Tantôt puni, abonné au banc de touche, tantôt transferable, Hatem Ben Arfa n'a pourtant connu que quatre clubs différents (Lyon, Marseille, Newcastle et Hull FC). C'est vrai que partout où il est passé, il s'est opposé à sa hiérarchie, que ce soit à ses coachs ou à ses employeurs à qui un désagréable consensus prétend donner raison. Les puissants médias comme L'Equipe qui profite de son "monopole" sur la presse sportive quotidienne n'y ont jamais été de main morte avec ces jeunes joueurs, à en oublier qu'ils travaillent. Ils ne produisent pas grand-chose, ils ne produisent qu'un spectacle. Mais cette industrie du spectacle qui les fait travailler génère des milliards d'euros annuels.

Alors quand, peut-être parfois mal entourés ou mal conseillés, ils se dressent contre leur club, nous ne devons pas oublier de quel côté ces joueurs se trouvent. Ce sont des salariés en conflit, souvent pour pouvoir partir où ils le désirent. Le conflit se cristalise alors soit autour de l'appétit financier de l'employeur, propriétaire du contrat qui cherche à le monnayer le plus cher possible; soit contre son envie de se débarasser rapidement d'un salaire encombrant d'un joueur sur lequel le club ne compte plus et qu'il est prêt à transférer n'importe où. Mais ces clashs sont finalement de bien minces réactions de défense dans un monde du football, individualiste, où les joueurs sont des acteurs temporaires et jetables. Tout cela n'est rendu moins choquant que parce que les salaires sont largement au dessus du salaire moyen (ce qui, dans le cas des quelques dizaines de joueurs gagnant plusieurs millions par an, a bien entendu aussi de quoi choquer).

Les clubs professionnels ont tendance à ne plus établir que des projets à court terme, sur trois ou quatre ans, où les joueurs sont soumis à une obligation de résultats rapides et des périodes d'intégration très courtes, pour de simples raisons de rentabilité3. Une méforme un peu prolongée peut suffire à brocarder un joueur, à la déclarer libre pour un prêt voire transférable. Comment s'appelle cela sinon de la flexibilité? Avec une telle structure mercantile comment s'insurger de la mentalité de mercenaire qu'elle provoque? Pour des carrières qui durent en moyenne une dizaine d'années, une année de perdue compte beaucoup.

Dans ces conditions le tempérament d'un joueur comme Hatem Ben Arfa a bon dos. Les écarts de conduite de joueurs qui ne respectent pas la feuille de route disciplinaire que leur statut de vedette sous contrat leur impose, peuvent généralement servir de prétexte pour se séparer d'un joueur. Même si en réalité la majorité des "séparations" se passent à l'amiable, ces dix ou quinze dernières années les conflits entre les joueurs et leurs employeurs ont logiquement augmenté. Hatem Ben Arfa n'échappe pas à cette stat, mais la réalité c'est que les clubs savent aussi provoquer ces clashs. Quoi de plus normal puisque contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, jouer pour un club n'est plus tellement lié à une histoire d'attachement sentimental (confère toutes les tirades sur "les clubs de coeur"), et qu'il s'agit bien d'un rapport social d'exploitation reposant sur la contradiction entre le joueur/salarié et le club/employeur dont il porte les couleurs.

Et aujourd'hui ces couleurs peuvent être amenées à changer aussi souvent et longtemps qu'il faut travailler pour assurer son après-carrière. D'ailleurs "assurer l'interim" et "faire une pige" sont entrés dans le jargon de ce football moderne marqué par les contrats courts et les avenirs incertains.

Quatre clubs en onze ans de professionnalisme

Moyennant une prime à la signature de 150 000 euros, Hatem Ben Arfa, 15 ans, est recruté en 2002 par l'Olympique lyonnais pour terminer sa formation. Il sera revendu six ans plus tard pour 11 millions d'euros à l'Olympique de Marseille. Il est alors emblématique d'une génération de joueurs prise dans des tractations mobilisant des sommes faramineuses qui lui échappent. Bien souvent avec l'appui des médias ces jeunes joueurs sont fustigés pour "leur appât du gain", mais pendant ce temps l'industrie capitaliste du sport, qui permet et entretient cela, peut dormir tranquille.

Le transfert de Ben Arfa à l'OM en 2008 avait d'ailleurs donné lieu à un bras de fer avec le patron lyonnais Jean-Michel Aulas face à qui le joueur ne s'était absolument pas démonté. Mais si le transfert faillit ne pas avoir lieu, ce n'était dû qu'au fait que les négociations traînaient en longueur entre Aulas et l'OM. Deux ans plus tard, il clashe cette fois-ci avec l'OM où Didier Deschamps, n'a jamais vraiment compté sur lui. Il se résoud à rejoindre Newcastle à l'intersaison 2010, conforté par l'intérêt qui lui est porté par le club anglais. On est loin du caprice pour les projecteurs et les paillettes. Seulement, entre temps, des joueurs offensifs ont quitté l'OM et Deschamps comprend qu'il pourrait finalement avoir besoin de Ben Arfa qui ne cède pas et obtient son prêt chez les Magpies. Newcastle lèvera l'option d'achat en janvier suivant (2011), malgré le fait qu'Hatem n'ait joué que quatre matchs officiels sous leur maillot en raison d'une grave blessure.

Trois années plus tard, ce qui est beaucoup dans ce football où tout va très vite, en froid avec son entraîneur il est prêté sur la fin du mercato au modeste club d'Hull FC. Nous sommes alors au début de la saison 2014/2015... Quelques mois avant que son transfert à l'OGC Nice ne soit bloqué pour une histoire d'interprétation d'un point de réglement.

Les instances du football veulent-elles de lui?

On ne reprochera jamais à Hatem Ben Arfa de défendre ses intérêts face à des employeurs qui profiteront toujours plus de lui que l'inverse. Même s'il gagne bien sa vie, voire très bien. On peut simplement déplorer ce que le football moderne et libéralisé a engendré comme individualisation. Forcément, la solidarité qui pouvait exister dans les années 60-70 en a pris un sérieux coup. Les joueurs sont seuls face à leur direction quand il s'agit de faire valoir leurs droits. On entend rarement des joueurs se montrer solidaires de leurs "collègues" en situation de conflit4.

D'autant que l'UNFP n'est plus qu'un organe de co-gestion solidement installée dans le confort des instances. D'ailleurs elle s'est montrée jusqu'ici bien timide quand il s'est agit de monter au créneau pour défendre le dossier du joueur. Encore plus quand André Soulier, président de la commission juridique de la Ligue de Football Professionnel (LFP) s'est permis une petite sortie anti-Ben Arfa, ironisant sur l'absence du joueur à la réunion: "Je n'ai pas eu le plaisir de le voir, sans doute parce qu'il n'y avait pas de caméras de télévision". Cette déclaration augure d'un traitement de dossier au faciès de la part des instances françaises. Avant d'ajouter: "Je pense qu'il a les moyens de subvenir à ses besoins pendant cette période de "chômage". Si la réponse de la FIFA est négative, il n'a plus qu'à attendre quelques mois." 

Car la FFF et la LFP s'appuient sur l'avis consultatif, mais négatif de la FIFA. Et plus précisément sur une ligne de son réglement qui interdit aux joueurs d'être enregistrés "auprès de plus de trois clubs successifs par période allant du 1er juillet au 30 juin de l’année suivante. Durant cette période, le joueur ne peut jouer en matches officiels que pour deux clubs." La Fédération Anglaise de son côté assure que le seul match joué par Ben Arfa avec Newcastle cette saison est un match amical avec les U21, et considère donc qu'il n'y a vraiment pas lieu de tenir de cette rencontre.

A l'heure actuelle, le contrat de Ben Arfa a encore des chances d'être homologué tant la situation semble ubuesque et tant les instances semblent vouloir lui faire payer on ne sait quoi par une interprétation tout à coup bien zélé des textes. Une manière de rappeler qu'elles font la pluie et le beau temps sur le football professionnel. Mais si la LFP a réussi à avoir la peau de Luzenac, le cas de Ben Arfa aura juste été retardé. Une manière de lui renvoyer son image de joueur difficile à mater... mais en même temps dont le spectacle a besoin.

Une conclusion s'impose: les joueurs sont loin d'être libres. Et la "petite révolution" (selon l'UNFP) du contrat à temps déterminé, maintenant loin derrière nous, en appelle une autre, grande cette fois. Avec ou sans Ben Arfa, mais avec des joueurs qui comme en 1968 iront occuper les sièges des instances réclamant qu'on rende le football aux footballeur(euse)s.

Notes:

1- Le cas des pays de l'ex-Bloc de l'Est, comme la Yougslavie, est encore différent. Et comme pour beaucoup de choses, il faudra attendre la Chute du Mur, puis des diverses Républiques Socialistes, pour voir un changement du contrat de travail du footballeur. Pratiquement dans le même mouvement que le passage de ces pays du capitalisme d'Etat à l'économie de marché.

2- Les joueurs se réunissent en congrès à Versailles les 27 et 28 novembre 1972, malgré la pression de la majeure partie des clubs qui le leur avait interdit. Comme mesure de prévention, le congrès vote la résolution suivante: "Si un seul joueur présent à Versailles est sanctionné par son club, tous les footballeurs français se mettront en grève." La grève sera déclenchée le 2 décembre quand l'UNFP apprendra la suspension des joueurs lyonnais présents au congrès.

3- Même si la crise économique actuelle a tendance à nuancer un peu cela. Beaucoup de clubs engagent moins de moyens et cherchent à laisser passer l'orage par des projets sportifs un peu plus ancrés dans la stabilité. Avec plus ou moins de réussite. D'autant que les grosses écuries sont souvent sans pitié sur le marché des transfert qui ressemble à un vaste plateau de Monopoly

3- Une des dernières réactions de solidarité collective a finalement été l'épisode de refus de descendre du bus à Knysna lors de la Coupe du Monde 2010 pour protester contre l'exclusion de Nicolas Anelka accusé d'avoir insulté Raymond Domenech. Les joueurs de l'équipe de France ont alors suscité une levée de bouclier quasi unanime et tout un tas de réactions les présentant tour à tour comme des "mutins" ou des "racailles". Un acharnement politico-médiatique aux forts relents de racisme républicain à base d'amalgames sur un prétendu "échec des politiques d'immigration"... Symptomatique d'une France qui n'aime ses footballeurs d'origine étrangère que quand ils gagnent.

 

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