Petite histoire sociale du catenaccio (partie III): "Qui veut sa peau?"
On l'a vu précédemment, le catenaccio a globalement mauvaise presse. Tout un tas d'esthètes auto-proclamés, allant de personnes censées être des connaisseurs du foot à de gros footix, ont émis des avis lapidaires sur ce système. Pour notre part, on essaie, depuis les première et deuxième parties de cet article, de l'aborder sous un angle social et avec une approche qu'on veut matérialiste. En tous cas le plus possible. Ce coup-ci on s'attardera sur les discours et déclarations, souvent à l'emporte pièce, concernant le catenaccio. Avec une constante, la défense du "beau jeu". Mais l'acharnement mis à démonter le catenaccio fait de ce "beau jeu" le paravent du spectacle, avec tout le poids que peut avoir ce concept dans "l'industrie du divertissement" qu'est devenu le football. Avant de creuser un peu plus cet aspect, voyons comment le jeu défensif est perçu. Tour d'horizon d'une propagande contre les tactiques défensives. Tous les coups sont permis.
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Quand les bourgeois de gauche et les bourgeois de droite taclent le catenaccio par derrière
Dans Alice aux pays des merveilles, il y a une discussion entre Humpty Dumpty et Alice à propos des définitions. Humpty Dumpty dit d'un ton assez dédaigneux: "Quand j'emploie un mot, il a exactement la signification que je lui donne. Ni plus, ni moins". Alice lui répond: "La question est de savoir si tu peux faire signifier tant de choses aux mots". "La question, dit Humpty Dumpty, est de savoir qui sera le maître. C'est tout."1
Passons rapidement sur cette équation qui est la substance même de toute compétition, y compris évidemment la plus importante: l'économie de marché. En cela, ce football "offensif" pourrait parfaitement être de gauche2.
On a compris que Cohn-Bendit n'était pas au courant de l'histoire du catenaccio et qu'il parle plus en tant que consommateur de foot qu'en tant que "connaisseur". Cependant quand il dit que la philosophie du catenaccio serait "casser l'adversaire et l'empêcher de jouer", accordons-lui de ne pas avoir totalement tord, bien que ce soit résumé très vite et que ce soit prononcé à charge.
Mais ce "football de gauche" nous pose question. Si la formule, qui consiste à concevoir le football comme un jeu dont le sens est de mettre plus de buts que son adversaire, semble festive et pétillante, le fait qu'il s'agisse d'un luxe semble complètement échapper à Cohn-Bendit. Ce type d'ambition n'est rien sans les moyens nécessaires. Aujourd'hui, ce foot de gauche, ressemble en réalité beaucoup plus à un foot de riche.
Et tout ça pour le plus grand plaisir de qui?
Croche-pied n°2: le catenaccio n'est pas beau
Sur le même modèle, pour Jorge Valdano, qui a joué pour la sélection argentine sous les ordres de César Luis Menotti lors du Mundial 82, "le football créatif est de gauche tandis que le football de force pure, tricheur et brutal est de droite". On imagine mises en accusation autant la légende de la roublardise des italiens que celle de l'efficacité des allemands3. Deux poids lourds européens du football, qui gagnaient souvent à la fin, même aux dépens du "beau jeu".
Niveau brutalité, c'est vrai que le catenaccio et son marquage individuel serré impose d'être dur sur l'homme. son histoire et ses origines l'éloignent largement des valeurs de la droite, il faut reconnaître que le catenaccio laisse très peu de place à la créativité ou à l'improvisation. Il lui préfère la rigueur, la sobriété et le respect des consignes.
Pour autant, Jérôme Latta, qui anime le blog Une balle dans le pied, rappelle à juste titre que cette notion de beauté est suggestive: "Il arrive qu'une équipe déploie des trésors d'intelligence tactique, de cohérence collective ou de rigueur, et devienne ainsi belle à voir jouer pour qui apprécie cette maîtrise-là4".
La vision de Menotti et Valdano correspond à une époque où la créativité est à la base du football sud-américain et s'oppose alors au gros effort de rélexion tactique engagé par certaines nations européennes. Miroir du football, canard des années 70 classé à gauche, et son directeur François Thébaud, prennent parti pour ce football sud-américain, créatif et tourné vers l'avant, et qui entretient une flamme sur le point de s'éteindre: l'idée que le football est avant tout un jeu.
Mais voilà, comme l'écrit Jérôme Latta, les enjeux économiques "se sont radicalisés" et le beau jeu dût aussi se soumettre à l'impératif du résultat. La principale négation du beau jeu réside aujourd'hui dans l'impact économique qu'a la défaite.
Croche-pied n°3: le catenaccio est réactionnaire et capitaliste
Pour valoriser son avis, Séguin s'appuye sur "l'opposition", en l'occurrence François Thébaud du Miroir du footballPrétendant s'appuyer sur
. Dans beaucoup de configurations, l'objectif même diverge entre deux équipes. Et le 0 à 0 de départ n'a pas le même sens selon qu'on soit dans une optique de le préserver ou de victoire. Il n'est pas question de philosophie ou d'idéologie. Dans le football, il existe aussi des intérêts divergents: certains sont en mesure de conquérir des titres et d'autres n'ont d'autre espoir que la lutte pour se sauver
En Italie, le catenaccio a d'abord incarné une révolution tactique donnant des armes aux plus faibles pour se défendre, pour devenir ensuite un système de jeu constitutif de l'ADN du football italien. C'est en Italie qu'il sera supplanté par l'autre révolution tactique que fut l'utilisation haute de la défense en ligne du Milan AC d'Arrigo Sacchi. Dans une période où la FIFA engagea quelques réflexions visant à rendre le football plus attractif6, cette (r)évolution, comme les autres évolutions, répondait aux exigences d'efficacité et de résultat de l'époque et offrit une palanquée de titres entre 1988 et 1992 au club présidé par Silvio Berlusconi.
Ce passage réussi à la défense en ligne et au marquage en zone par Sacchi n'est pas plus "progressiste" que le catenaccio qu'il a achevé de rendre obsolète. Même s'il dispose d'individualités exceptionnelles (Baresi, Donadoni, Rijkaard, Gullit, Van Basten...) le système de jeu offensif de Sacchi requiert aussi une grande solidité et discipline collectives. Il s'appuie aussi sur un bloc-équipe, mais celui-ci est positionné beaucoup plus haut, quelques mètres avant la ligne médiane. Ce positionnement impose une occupation du terrain asphyxiante pour l'équipe adverse et ne néglige absolument pas le travail défensif qui, grâce à la ligne, repose sur un hors-jeu joué à la perfection et qui est devenu par la suite une nouvelle arme de neutralisation des attaques.
Question ouverte: le catenaccio est-il soluble dans le spectacle?
On touche là à une contradiction inhérente au football contemporain dans la période actuelle de crise économique. Beaucoup de clubs qui jouent leur survie ou qui luttent pour ne pas descendre, proposent des jeux pauvres offensivement. Pour autant the show must go on et les droits télé ne se sont jamais monnayés aussi cher.
Comme début de réponse on dira alors comme Pablo Correa: "Si tu veux du spectacle, vas au cirque."
Notes:
1- Dialogue du livre II d'Alice aux pays des merveilles, réécrit par les Rote Zora dans le texte "Chaque coeur est une bombe à retardement" consultable dans le recueil En catimini... Histoire et communiqués des Rote Zora.
2- Pas besoin d'écrire une tartine sur la gauche et son rapport à l'économie de marché.
3- Du nom du système de jeu défensif mis en place par Gipo Viani, Salernitana
4- "Le jeu, l'enjeu, le spectacle" - 3 juin 2013
5-
6- Ce qui aboutit en 1992 à un changement majeur avec l'interdiction pour le gardien de saisir une passe en retrait volontaire.